Je me baladais sur l'avenue,
Le coeur ouvert à l'inconnu,
J'avais envie de dire bonjour à n'importe qui ...
C'était ça, à peu de choses près. Dimanche, doux dimanche, ensoleillé comme il le fallait. Un ciel bleu, de ce bleu clair rafraichissant, le doré du soleil réchauffant chaque parcelle de peau nue. Une belle journée, la seule de repos dans cette semaine de fous que je possédais, en soit la seule qui me permettait de découvrir la ville magnifique et tumultueuse de New York City. Il n'était donc évidemment pas question que je reste à glander, malgré la veille éreintante, le manque évident de sommeil, tout cela en plus du travail en retard que j'avais encore à terminer.
Mais plus rien ne comptait, je n'en avais que faire.
Le soleil avait fait pencher la balance.
J'étais donc sortie, en tout début d'après midi, après m'être habillée légèrement, mon appareil photo autour du cou. Avec moi, mon fidèle sac en toile, un calepin et divers crayons. Le matériel minimum en soit, pour croquer et dessiner, au fusain ou au crayon. Je n'avais pas pris l'aquarelle, je ne me sentais pas de peindre quoi que se soit aujourd'hui, mais j'avais bien fait attention au reste de ma batterie la veille. Je venais m'amuser, me changer les idées, découvrir ... Respirer le grand air.
Étrangement, Broadway ne me disait rien. C'était pourtant là que tous se ruaient, à la recherche de la dernière star du moment, voir ces étoiles montantes et celles prises dans le marbre des plaques en béton. Je n'avais jamais compris ce cycle d'idées, la conception de laisser sa trace dans le marbre et le béton froid et impersonnel, alors que l'argile malléable à souhait et la pierre convenaient amplement.
Je préférais les enfants de Brooklyn, les vieux de ce Bronx méprisé, les terrains de basket grillagés, les squares emplis de gens de couleur. Après tout c'était là où j'avais ma "maison", ce taudis minuscule faisant mon toit, c'était parmi eux que j'étais chez moi. Moi la peau pâle parmi eux, les gens à la peau chocolat noir, véritable fourmilière géante et imagée, chantant le soul et colorant les murs de peintures fluorescentes orangées.
Le Bronx et sa misère, oui, mais avant tout le Bronx et ses couleurs. Chaque odeur était un cri désespéré, comme un enfant qui vient de naître, espoir tordu par la douleur, artiste trainé dans la boue et rabroué.
Le Rap, le R’N’B, tant de genre musical existaient ici, se mélangeant jusqu'à former une seule et même voix, celle d'un seul et même peuple, à la couleur rouge passionnée. Je dévorais du regard chaque mur, chaque ruelle, immortalisant la vie quotidienne, insolite journée, voyage extraordinaire. Je vivais au rythme de ces autos délavées, suivant le rire des gamins et les peines des mères éplorées, tordues sous la misère qu'elles devaient et doivent quotidiennement encore porter.
Je me souviens m'être assise à la terrasse d'un bouiboui, échangeant quelques mots timides avec un jeune employé, avant de prendre un café bien noir et croquer la mama qui servait au comptoir. Fière, un turban de couleur noués dans ses cheveux tressés, la bouche gentiment tordue et pleine, les yeux grands ouverts sur le monde extérieur, elle discutait avec animation à cette personne plus âgée, presque rachitique et recroquevillée sur le tabouret devant le bar, la main ce cette même personne s'agrippant avec fermeté au comptoir, l'autre à une canne en noyer.
J'ai fermé les yeux un instant et ai respiré, goûtant l'air, me délectant des arômes qui, m'assaillant, en passant de la propreté presque agressive à l'urine âcre du trottoir voir à l'amer doucereux du café, me montaient au nez. Air béat un moment, avant de revenir sur terre et terminer mon projet.
Les yeux plissés, je termine mon croquis rapide, concentrée pour ne rater aucun détail; j'entends par là les attitudes et expressions neuves qui se délient et qui dansent, exacerbant ce coté libre et rafraichissant, clamant haut et fort cette envie de vivre qui me manque tant.
Je soupire, peu satisfaite de moi finalement, payant ma tasse et m'en allant, laissant un petit pourboire. Réapprendre à voir. Non point que je ne maitrise pas le sujet, juste que ... Et bien il me manque Ray. Je laisse mes pas à la dérive, comme tous ces continents sur lesquels nous marchons, et je m'en vais ainsi, sans plus savoir où je vais.
Je photographie quelques endroits, l'envie toujours présente de comprendre cette atmosphère, ce besoin impérial et frustrant bloquant mes autres sens. Mon cerveau s'agite, mes yeux enregistrent chaque détail ou presque, mes pieds s'avancent d'eux-mêmes dans les divers dédales, mais ce n'est toujours pas assez.
Sifflement léger d'agacement pur, envers moi-même évidemment, et me voilà repartie dans l'autre sens, en direction de Manhattan. Je quitte Harlem, ses dealeurs et ses dilemmes pour la verdure printanière de Central Park, ces bancs et ces adultes détendus. Du moins, ça c'est ce que je souhaiterais. Très très fort, même.
Après tout, comment faire, maintenant que je suis paumée dans ces ruelles, sans plans, cartes ou moyen de communication ? Et puis, lorsque de grands hommes baraques et peu commodes vous lorgnent, même de loin, il n'est jamais bon de rester trop longtemps dans le coin ... Surtout lorsque la fille qu'ils reluquent est menue, pas bien imposante, et qui a tout d'un joli lapin blanc coincé dans la cuisine d'un pro du civet.
Ah, Carrie, tu es une fille désespérante, et la curiosité te perdra. Comment dire ... Là, tout de suite ... À l'aide, quelqu'un ?